Better Call Saul — Illégitime

Paresseux Scribouillard
6 min readOct 3, 2018

--

Un petit coup d’œil dans le rétro

La fin de la saison 4 de Better Call Saul, programmée pour le 8 octobre 2018, s’approche.

Bob Odenkirk, magistral quand il incarne le doute de Jimmy McGill / Saul Goodman

Attention, ça va spoiler ! Donc si vous n’êtes pas à jour, allez voir la saison 4 sur Netflix puis revenez, cet article sera encore là :)

La fin de la série probablement aussi. Divers indices au cours de la saison comme l’apparition de Gale Boetticher par exemple, la construction du laboratoire souterrain de Gus Fring ou l’état d’Hector Salamanca. Plusieurs indices laissent à penser que nous arrivons à une situation quasi finale, peu de temps avant le début de Breaking Bad.

Puisqu’il est probable que la saison 5, confirmée par AMC au mois d’août soit la dernière, il me semblait important de revenir sur un concept important au cœur de la série. (Mise à jour de mars 2020 : on y était presque ! La saison 5 ne sera pas la dernière, mais l’avant dernière, la saison 6 ayant été confirmée en janvier comme la conclusion de ce prequel par AMC, qui produit la série)

Le concept qui nous intéresse est le sentiment d’illégitimité qu’on retrouve évidemment chez Jimmy/Saul, mais pas que.

Chez Jimmy, le manque de légitimité, l’écrasante figure tutélaire de son frère est un des thèmes principaux des 3 premières saisons, si ce n’est le thème principal.

Combien de fois le cadet des frères McGill se compare-t-il à Chuck ? Combien de personnages s’adressent à Jimmy uniquement en référence à son frère ? Combien enfin, de discours moralisateurs (ou perçus comme tels par Jimmy), de sermons de Chuck au fil de ces 3 premières saisons ?

Les frères McGIll, meilleurs ennemis

On assiste là à une évolution intéressante de la narration entre Breaking Bad et Better Call Saul, Vince Gilligan décidant de pousser le Character Study encore plus loin.

Si l’on résume Walter White très grossièrement, il est possible de le présenter comme un homme mégalomaniaque qui ne cherchait qu’à échapper à la médiocrité de sa vie, de son travail et de sa situation sociale.

Situation sociale médiocre due selon Walter, au “vol” opéré par son ancien ami Elliott Schwartz, co-fondateur de Gray Matter, dont il garde une jalousie féroce, comme vue dans l’épisode 5 de la saison 1).

C’était le Character Study donc, d’un génie du mal, qui ne demandait qu’à apparaître sous certaines conditions (à ce propos, je vous conseille de lire ou relire Walter White Was Always a Bad Guy).

The One Who Knocks

Character Studies, Jimmy

Jimmy à contrario, au fur et à mesure des saisons se révèle comme l’étude d’un personnage bien plus tragique. Il apparaît en fait comme emporté par les divers évènements et personnages qu’il côtoie et devient, malgré lui, un vrai criminel après n’avoir longtemps été qu’un petit escroc essayant juste de survivre.

C’est que Jimmy à toujours eu un usage “créatif” de la loi, et des différentes règles du système auquel il est soumis à un instant T.

L’intraitable Chuck, qui ne supporte pas de voir son frère Jimmy tenter sa chance en tant qu’avocat

C’est cette créativité, au cœur du personnage qui sera bridée par son frère notamment, le poussant à développer un complexe d’infériorité qui l’amènera par exemple au début de la saison 2 à vouloir arrêter d’être avocat pour se concentrer sur des activités moins légales, mais faisant toujours appel à son imagination, en arnaquant de riches pigeons.

C’est encore cette créativité qui lui causera des problèmes chez Davis&Main, le poussant à créer et diffuser une publicité sans jamais consulter sa hiérarchie.

Walter White à toujours été un méchant

Pour résumer on peut arguer que si Walter White à “toujours été un méchant”, avec des velléités de devenir le calife à la place du calife, Jimmy est un type lambda avec un bon fond, mais qui ne prends pas les bonnes décisions au bon moment.

Il est à noter d’ailleurs que cet usage créatif de la loi est également ce qui lui permet de monter l’affaire Sandpiper, qui n’aurait probablement pas pu aboutir en respectant le droit à la lettre.

Character Studies, Kim

C’est probablement ce qui attire en partie d’ailleurs Kim Wexler, qui est probablement la véritable révélation de la série et dont le personnage qui monte en importance au fil des saisons devient un vrai point focal de la série dans la saison 4.

Rhea Seehorn en crescendo depuis le début de la série. Peut-être la meilleure performance de la saison 4

L’évolution de Kim est fascinante à étudier, puisqu’elle est à priori “de l’autre côté de la barrière”. Elle s’évertue à trouver des moyens complètement légaux de chercher à résoudre les différentes affaires qui lui sont confiées.

Pourtant à plusieurs occasions, et notamment au cours de la saison 4, Kim se rend compte de l’inefficacité de ses méthodes quand les règles sont biaisées en faveur des gens privilégiés et des entreprises.

Peut-on alors dire qu’elle se laisse séduire par le côté obscur de la loi, une attraction du bad boy Jimmy qui jouerait sur elle ? Personnellement, je ne le pense pas. Ce serait une analyse facile et assez sexiste d’ailleurs. Plutôt, je postule qu’il s’agisse ici de l’inclusion de la critique sociale de Gilligan. Mais avant de parler du commentaire social de Gilligan dans Better Call Saul, il nous faut revenir un peu sur la critique sociale au sein de Breaking Bad.

Gilligan toujours plus radical ?

Une “blague” récurrente sur Breaking Bad veut que si Walter White avait été Canadien, rien des évènements de la série ne seraient arrivés puisqu’il n’aurait pas eu à trouver par lui-même les moyens de financer son traitement contre le cancer.

Cette situation de départ fait bien sûr partie de la critique sociale de Gilligan, mais celle-ci est bien plus profonde. Dans Breaking Bad, le créateur s’attaque directement au mythe du rêve américain, en mettant Walter et Skylar dans deux opposés bien distincts.

Vince Gilligan, créateur de non plus 1 mais 2 œuvres télévisuelles majeures ?

Si Skylar se satisfait de sa situation (avec tous les problèmes financiers qu’ils ont, l’éducation de Junior) et ne semble pas outre mesure affectée par le fait de mener une vie banale, rythmée par les invitations chez Hank et Marie, ce n’est bien sûr pas le cas de Walter.

Celui-ci ne peut supporter sa vie, qui est comme une vision déformée, un peu ratée du rêve américain, puisqu’il n’a pas vraiment de considération de la part de ses élèves ou du lycée ou il enseigne, ni de son milieu, qui ne le reconnaît pas comme le génie qu’il pense être.

Better Call Saul lui, est peut-être encore plus radical dans sa critique sociétale. Et on le voit justement bien dans la dualité de Kim Wexler au cours de la saison 4.

Déprimée à l’idée de continuer à accumuler les réunions sans intérêt et reléguant les trophées symbolisant de nouvelles ouvertures de banques sur une étagère, elle décide d’abord de prendre des dossiers en plus, pour aider des individus très défavorisés.

Puis décide d’arrêter de travailler en tant qu’indépendante au service unique d’une banque, avec l’intention claire de se dégager du temps pour les dossiers qui lui importent.

Enfin, Kim semble se poser carrément la question “Ah quoi bon respecter les règles du jeu, puisque les puissants ne le font pas ?”. Ses gros clients, tels Mesa Verde pour qui elle travaille ont une armée d’avocats, leur permettant de se sortir de pratiquement n’importe quelle situation, de plier la réalité à leur désir sous le poids de leurs équipes juridiques.

C’est donc en réaction à son ennui et sa culpabilité de n’être qu’un rouage du système qu’elle décide de s’impliquer dans l’affaire incriminant Huell, le vigile de Jimmy.

Si Breaking Bad était donc une critique de gauche féroce du American Way Of Life et de son système de santé, Gilligan semble aller cette fois encore plus loin. C’est peut-être un signe des temps mais on pourrait y voir une critique sociale presque nihiliste au sein de Better Call Saul.

Après tout, puisque personne n’a jamais reconnu le talent de Jimmy pour le diriger dans la bonne direction, quelle importance accorder aux valeurs “classiques” du travail et de l’effort dans l’Amérique d’aujourd’hui où l’argent à tout remplacé ?

--

--

Paresseux Scribouillard
Paresseux Scribouillard

Written by Paresseux Scribouillard

Parce que des fois, j’aime écrire plus long qu’un tweet

No responses yet