Soft power, Chine & Jardin des Plantes

Paresseux Scribouillard
5 min readNov 14, 2018

Comment la Chine veut utiliser son art millénaire des illuminations pour se montrer -de nuit- sous son meilleur jour.

Soft et Hard power

Utilisé en opposition du “hard” power, désignant la puissance militaire directe, physique, d’un pays, le soft power constitue l’ensemble des éléments qui permettent à un pays de partager sa vision du monde, ses valeurs.

Prenons quelques exemples qui parleront à tout le monde. Un des éléments de soft power le plus important pour la France ? Le Tour de France. En effet, l’événement qui évoque probablement surtout les siestes d’après midi au coeur du mois de juillet est le 3ème évènement sportif le plus regardé au monde, derrière la coupe du monde de football et les jeux olympiques d’été.

Formidable outil de promotion touristique de la France, de ses paysages, de sa culture, de son patrimoine, tant naturel que gastronomique par exemple (si vous ne l’avez jamais fait, écoutez un jour un commentaire de Tour de France, vous verrez que vous en apprendrez beaucoup sur les régions de notre beau pays), il s’agit d’un des outils de Soft Power les plus connus.

Il s’agit souvent d’exemple évidents, inhérents à la culture d’un pays mais auxquels on ne pense pas forcément, comme le manga au Japon, la culture de l’animation et de l’illustration en général. Ce “Cool Japan” comme il est souvent désigné est un même un pan important de l’attractivité du pays, soigneusement entretenu par le METI (le ministère de l’économie et de l’industrie japonais).

Hollywood ou Bollywood constituent évidemment des exemples également valables. La Chine semble avoir compris le potentiel que pouvait receler le concept. Après s’être lancé dans les décennies passées dans une course à l’armement et à la croissance de sa puissance militaire, l’empire du milieu semble se tourner depuis quelques années vers d’autres moyens d’étendre son influence.

L’éveil du soft power chinois

On peut notamment citer la politique des “nouvelles routes de la soie” mise en place par Xi Jinping qui comprend des projets d’infrastructures géants, on pensera notamment au rachat du port du Pirée en Grèce, les investissements de la Chine sur la ville de Duisburg en Allemagne pour en faire son point d’entrée en Europe, ou la tentative de rachat de l’aéroport de Toulouse en France qui vient de rebondir avec la publication d’un rapport de la cour des comptes.

Mais le plan du parti comporte aussi des actions plus immatérielles, en rapport avec la volonté de développement de son soft power. Le pays souhaite par exemple devenir celui qui possède le plus de sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco.

Il faut dire que la Chine à de bons atouts, avec une histoire qui s’étale sur plusieurs millénaires, des monuments en pagaille, un patrimoine culturel comportant des récits fondateurs comme Le Voyage En Occident (Journey To The West dans les pays anglophones) qui ont influencé l’Asie et le monde (Dragon Ball étant une des oeuvres de pop culture récente y faisant référence de manière évidente).

Il n’est donc pas étonnant de voir le journal “La Voix du Nord” dans le chapô d’un article parler de l’art de l’illumination du pays comme “l’une des plus vivaces traditions chinoises.”

Présenté comme une première française (l’est-ce vraiment ? puisqu’un évènement de nature similaire s’était à priori déroulé 1 an auparavant dans le Tarn selon le journal La Dépêche, il est permis d’en douter).

Mais ce qui est assez drôle, c’est que ce festival d’illuminations, “China Light Festival” est toujours présenté comme un simple divertissement pour petits et grands.

L’entreprise chinoise à détaché 30 spécialistes de la région du Sichuan est également à l’origine de l’attraction “Illuminations” présente au Jardin des plantes à Paris.

Contenant quelques animaux illuminés elle constitue, on l’imagine aisément un avant-goût du spectacle par ailleurs sûrement impressionnant qui se tiendra à Calais jusqu’au 6 janvier 2019.

Vu l’importance de l’événement selon les articles qui le mentionnent on pourrait penser à une couverture plus en profondeur, mais on ne dépasse jamais le stade la promo.

On imagine pourtant qu’un événement comprenant un dragon illuminé de cent mètres n’est pas pris à la légère, notamment par la ville de Calais. La ville a probablement bien besoin de toute la bonne publicité apportée par cet évènement, alors que dans le cycle médiatique national, la ville est souvent malheureusement montrée sous un jour bien moins favorable.

Une volonté de ne pas fâcher ?

Quand Le Louvre ouvrait un musée à Abu Dhabi récemment, il n’avait évidemment pas pu faire l’impasse sur la controverse entourant le musée. Fallait-il construire un autre “Louvre” (avec donc l’image de la France) aux Emirats Arabes Unis, dans un pays allié de l’Arabie Saoudite, qui bombarde toujours le Yémen ?

Plus récemment, le Louvre Abu Dhabi à connu son premier faux pas, en “oubliant” le Qatar au sein d’une exposition, le rayant de ses cartes, pour ne pas se fâcher avec les autorités locales ?

Le Qatar est en effet un pays avec qui les Émirats Arabes Unis et son allié l’Arabie Saoudite sont en conflit depuis des années.

Ainsi, s’il y a controverse sur les opérations de “soft power” de la France, quand il s’agit de nos amis Chinois, on reste apparemment au stade de la promo, du tourisme, de la promotion de la culture et des traditions de la Chine, en oubliant les sujets qui fâchent.

Peut-être en espérant se montrer sous des auspices favorables lors de futurs contrats avec des géants économiques Chinois dans l’Hexagone ?

En tout cas, il ne reste qu’à espérer que le jeu en vaut la chandelle pour la ville de Calais et le Jardin des Plantes qui trouve là une activité des fêtes de fin d’année pour nos chers bambins ?

Ou bien est-ce l’auteur de ces lignes qui est évidemment toujours à voir le mal partout :)

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Paresseux Scribouillard

Parce que des fois, j’aime écrire plus long qu’un tweet